Jean-Claude Mailly : “Le dialogue normal ne suffit pas”

Jean-Claude Mailly : “Le dialogue
normal ne suffit pas”

LE MONDE | 15.08.2012 à 10h36 • Mis à jour le 17.08.2012 à 14h24

Par Anne Eveno et
Jean-Baptiste Chastand (Propos recueillis)

 

Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, demande au
gouvernement de faire davantage pour le pouvoir d’achat.

Que vous inspire la stagnation de l’économie française
depuis trois trimestres ?

Nous sommes dans une situation de pré-récession, avec
les conséquences que l’on sait en matière d’emploi. La politique menée au niveau européen
enfonce l’économie dans la récession. Par exemple, si l’on fait le total des
plans d’austérité menés dans les différents pays d’Europe, leur montant
équivaut largement aux 120 milliards d’euros du plan de relance européen.

Vous n’êtes pas convaincu par le pacte budgétaire
européen ?

Ce traité, par les contraintes qu’il impose et les
sanctions automatiques qu’il prévoit, enfonce le clou de l’austérité. Nous
allons nous adresser aux députés pour leur demander de ne pas le ratifier.

Vous portez ce message depuis longtemps. N’est-ce pas
un constat d’échec pour le syndicalisme européen ?

C’est vrai, mais je ne dis pas que c’est un constat
d’échec. Nous vivons une situation de crise inédite, et les choses ne sont pas
faciles dans de nombreux pays. La Confédération européenne des syndicats (CES)
a par ailleurs pris pour la première fois une position d’opposition par rapport
au traité européen.

Comment jugez-vous les 100 premiers jours de François
Hollande ?

Sur la méthode, c’est plus sain qu’auparavant. Nous
avons un président qui préside et un gouvernement qui gouverne, qui prend ses
responsabilités. Il y a une restauration d’un dialogue normal.

Mais cela ne suffit pas. Certes, dans le collectif
budgétaire, il y a des mesures qui vont dans le bon sens, comme le
rééquilibrage sur l’ISF, mais je crains que le projet de budget pour 2013
n’aille pas dans la même direction, avec notamment des réductions de la dépense
publique.

Les lettres plafond prévoient des baisses d’effectifs
dans de nombreux ministères. Le gouvernement s’est engagé à mener un audit de la Révision générale des politiques
publiques [RGPP – non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la
retraite]
mais, sans en attendre le résultat, il annonce des décisions.

Etes-vous prêt à accepter la stabilisation des
effectifs dans la fonction publique contre une modération salariale ?

Non. Si, pour 2012, les jeux sont faits, avec un gel
des rémunérations, nous attendons de voir pour 2013. Il y a une demande de
pouvoir d’achat des fonctionnaires.

Les décisions sur le smic ou sur la création de 150
000 emplois d’avenir
ne trouvent-elles pas grâce à vos yeux ?

Sur le smic, c’est insuffisant. Quant aux emplois
d’avenir, je ne veux pas qu’ils servent de période d’essai pour une embauche de
jeune, afin de vérifier son potentiel avant un recrutement, ce qui reviendrait
à un contrat première embauche [CPE].

Il faut que, dès le départ, il y ait une formation
avec ces contrats et qu’on ne les installe pas seulement pour dégonfler les
statistiques du chômage. Pas question non plus qu’ils soient déversés dans
l’administration alors que l’on va y supprimer des postes.

Le principe des accords compétitivité-emploi, auquel
vous êtes opposé, devrait être inclus dans la négociation en septembre.
Qu’allez-vous faire ?

Tout dépend de ce qui prime dans le document
d’orientation que prépare le gouvernement. A l’issue de la conférence sociale,
le premier ministre avait dit que la négociation compétitivité-emploi était
terminée. La feuille de route publiée juste après était plus ambiguë et nous
est restée en travers de la gorge.

J’ai bien vu que Laurence Parisot
[La présidente du Medef] avait menacé de ne pas négocier pour obtenir
ce qu’elle souhaitait. Si le gouvernement lui donne satisfaction, je me poserai
de mon côté la question de notre participation. Le salaire est la contrepartie
de la vente de la force de travail ; je refuse qu’il fluctue en fonction de la
situation de l’entreprise.

Comment éviter, alors, les plans sociaux qui se
multiplient ?

J’en ai assez des donneurs de leçons, qui disent que,
pour sortir de la crise, il faut plus de flexibilité. Cela n’a pas empêché la
Grèce et l’Espagne d’entrer en récession. En France, il y a déjà de la
flexibilité, y compris depuis les 35 heures.

Le gouverneur de la banque de France [Christian
Noyer]
qui vit dans les salons de la Banque centrale européenne et veut
plus de flexibilité, ne doit pas se rendre compte de ce que c’est que de vivre
au smic.

Voyez-vous des mesures d’urgence qu’il faudrait
prendre ?

D’abord, il faut soutenir la demande interne. Ensuite,
la mise en place de la banque publique d’investissement est une urgence, car
les TPE-PME rencontrent trop de difficultés pour emprunter. Il faut aussi aller
vite, pour empêcher les entreprises de fermer un site qu’elles pourraient
revendre. Quant à  l’allocation équivalent-retraite, elle doit être
rétablie. Tout cela suppose de sortir des clous budgétaires, mais il faut
savoir ce que l’on veut.

L’automne risque d’être fort peu propice à un
mouvement d’ampleur…

Il est difficile de dire ce qui va se passer dans les
prochaines semaines. Nous sommes dans une phase où nous attendons que les
choses soient éclaircies. Nous allons aussi réaffirmer nos positions.

Anne Eveno
et Jean-Baptiste Chastand (Propos recueillis)

 

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