Concours enseignants à bac +3 : le ministère de l’éducation rouvre le chantier de la formation des professeurs

Concours enseignants à bac +3 : le ministère de l’éducation rouvre le chantier de la formation des professeurs

Eléa PommiersPour améliorer l’attractivité du métier, Gabriel Attal étudie plusieurs hypothèses de réforme du recrutement, notamment le positionnement des concours à bac +3. Des annonces sont attendues début 2024.

Comment résorber la grave crise de recrutement d’enseignants que connaît la France depuis plusieurs années ? Pour le ministère de l’éducation nationale, une partie de la réponse est à chercher du côté du positionnement des concours et de la formation initiale des professeurs. Alors que son administration a de nouveau été contrainte de prolonger la période d’inscription aux concours d’un mois, jusqu’au 7 décembre, faute de candidats en nombre suffisant, Gabriel Attal a promis des annonces début 2024 sur « l’entrée dans le métier ».

Le cabinet du ministre de l’éducation nationale a engagé depuis septembre avec les organisations syndicales des concertations sur l’attractivité de la profession d’enseignant, lors desquelles ont été présentés divers scénarios de réforme du recrutement. La piste privilégiée par la Rue de Grenelle consiste à déplacer les concours du premier et du second degré. Depuis 2022, ils sont accessibles après un bac +5. Le projet est de les ramener en fin de licence 3, puis de former les lauréats sous statut de stagiaire pendant deux ans.

Cette hypothèse a des allures d’aveu d’échec concernant la dernière réforme des concours, menée par l’ancien ministre, Jean-Michel Blanquer, durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. La décision d’exiger un niveau master 2 pour se présenter aux épreuves a accentué l’érosion des inscriptions observée depuis vingt ans et conduit à un effondrement des candidatures, qui sont toujours très loin de leur niveau d’avant 2022.

Gabriel Attal a par ailleurs plusieurs fois déploré une deuxième année du master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) « épuisante » pour les étudiants, qui doivent désormais mener de front la préparation du concours, la validation du master, la rédaction d’un mémoire ainsi que la réalisation de stages, voire d’une alternance. Depuis un an déjà, les appels à revoir les modalités du recrutement se sont accumulés, parmi les parlementaires de la majorité comme de l’opposition – le député (Les Républicains) du Rhône Alexandre Portier a par exemple déposé deux propositions de loi pour déplacer les concours à bac +3.

Améliorer la formation initiale des enseignants

En envisageant de repositionner les concours plus tôt, le ministère espère « élargir le vivier de candidats ». Il n’est cependant pas question de renoncer à l’exigence de valider un bac +5 pour être enseignant : l’obtention du master 2 serait obligatoire à l’issue des deux années de formation après le concours. Les lauréats, qui effectueraient des stages d’observation la première année puis seraient en responsabilité de classe à mi-temps la seconde, seraient en outre rémunérés durant les deux ans – au moins 1 770 euros brut mensuels sont envisagés.

« Le financement des études est une problématique importante, pointe Alain Frugière, président du réseau des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), qui abritent les masters MEEF. Nos étudiants sont de plus en plus obligés de prendre un travail en parallèle, parfois à temps plein, pour faire cinq ans d’études avant de toucher leur premier salaire. »

L’enjeu de la réforme est aussi celui de l’amélioration de la formation initiale des enseignants. Au terme de licences qui peuvent être diverses, les étudiants qui intègrent un master MEEF suivent deux ans de formation professionnalisante, avant une année de stage à temps plein s’ils réussissent le concours. La moitié des admis qui ne sont pas issus d’un master MEEF, qu’il s’agisse de candidats en reconversion ou d’étudiants d’autres masters, n’effectuent qu’une année de stage divisée entre un mi-temps en responsabilité de classes et une formation en Inspé.

L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a remis un rapport sévère en septembre 2022 quant aux lacunes de cette organisation pour le premier degré, où le volume de formation a sensiblement diminué depuis trente ans. « Le cadre de la formation initiale des professeurs des écoles en France (…) ne garantit pas que chaque étudiant (…) aura acquis les compétences et connaissances indispensables pour aborder sereinement le métier d’enseignant d’école primaire chargé d’enseigner toutes les disciplines, de la petite section de maternelle à la fin du cours moyen », estimaient les inspecteurs.

Rappelant que plusieurs pays voisins de la France considèrent qu’il faut quatre à cinq ans pour former correctement un enseignant, le rapport invitait à structurer un parcours long de cinq années – sans toutefois déplacer les concours. Plus généralement, les dernières enquêtes internationales montrent que les professeurs français du premier comme du second degré se déclarent relativement peu préparés à exercer leur métier, et notamment à gérer l’hétérogénéité des élèves.

Plusieurs options sont étudiées

Au-delà de la formation en master, la Rue de Grenelle réfléchit aussi à des parcours progressifs dès la première année d’études. Pour le primaire, la généralisation des licences « parcours préparatoires au professorat des écoles », créées en 2021, est envisagée. Pour le second degré, des « modules de sensibilisation » au métier pourraient être adossés à des licences disciplinaires « labellisées » par le ministère.

Les organisations syndicales ne valident pas l’intégralité des modalités proposées. Mais elles adhèrent presque toutes au principe d’un décalage des concours à bac +3 s’il respecte leurs principales revendications : le maintien de la mastérisation, le traitement commun du premier et du second degré, acquis en 1989, et deux années de formation rémunérées.

Toutefois, un syndicat, et non des moindres, s’y oppose : le SNES-FSU, premier syndicat du secondaire. Dans la lignée d’un débat ancien quant à l’articulation des connaissances disciplinaires et des compétences professionnelles dans la formation, il craint notamment « un recul dans la garantie de la maîtrise disciplinaire » des futurs enseignants de collège et lycée, et défend le maintien à bac +5 avec des « prérecrutements » dès la licence.

La Société des agrégés a aussi adressé une lettre ouverte à Gabriel Attal, dans laquelle elle souligne que « beaucoup d’étudiants en licence n’ont pas, à ce stade de leurs études, acquis un niveau de connaissances ni de méthodes suffisant pour garantir qu’ils pourront maîtriser plus tard leur discipline ». Dans une lettre ouverte devenue pétition, plus de 200 universitaires s’opposent, pour les mêmes raisons, à cette perspective pour le secondaire.

Rue de Grenelle, où l’on espère une mise en œuvre pour la session 2025, on assure que rien n’est arrêté et que plusieurs options sont étudiées. Les questions à trancher sont nombreuses, de la nature des épreuves du futur concours à l’architecture des parcours, en passant par le contenu des formations ou encore l’organisation et l’accompagnement des stages. « Il y a urgence à améliorer le recrutement, reconnaît Guislaine David, du SNuipp-FSU, premier syndicat du primaire. Mais on ne peut pas mettre en place aussi vite une réforme qui implique de lourdes transformations et pose une question aussi structurante que celle de la formation qu’on veut pour les enseignants. Sinon, on risque de devoir encore corriger pendant des années. » Tous les acteurs s’accordent en effet sur ce point : à la veille de leur quatrième changement d’ampleur en quinze ans, le recrutement et la formation des enseignants ont plus que jamais besoin de lisibilité et de stabilité.Cet article est paru dans Le Monde (site web)